Que deviendrait la plupart des fleurs de notre environnement sans le petit monde industrieux des insectes pollinisateurs, sans les abeilles?
L’abeille et les abeilles
Le terme ‘Abeilles’ au sens vrai (bees en anglais et Bienen en allemand) désigne les insectes de l’ordre des Hyménoptères et du groupe des Apiformes, soit près de 1 000 espèces en France (bourdons, osmies, mégachiles et autres xylocopes) et 2 500 en Europe. L’abeille domestique élevée par les apiculteurs (honey bee en anglais et Hönigbiene en allemand), appelée aussi abeille mellifère, ou par contraction et abus de language simplement abeille en français, ne désigne au contraire que la seule et unique espèce, Apis mellifera, et c’est la seule qui produit du miel, au sens légal du terme.
On compte aujourd’hui 20 000 espèces d’abeilles dans le monde distribuées sur l’ensemble des continents excepté l’Antarticque (www.discoverlife.org/ => taper ‘bees’), et l’on considère qu’il y en a encore 5 000 à 10 000 espèces d’abeilles qui attendent d’être découvertes et décrites, principalement dans les régions tropicales. Plus de 80% des espèces d’abeilles sont solitaires, et les autres illustrent toutes les transitions entre le mode de vie solitaire et le mode de vie social le plus avancé que l’on trouve chez l’abeille domestique et les bourdons (nid Bombus terrestris). Les abeilles, comme tous les insectes avec une métamorphose complète, passent par quatre stades distincts au cours de leur vie : L’œuf d’abord, qui a la forme d’un minuscule boudin blanc et qui éclot en larve, comparable à un asticot blanc. Chez la plupart des espèces, la larve dispose d’une réserve de nourriture constituée de pollen mélangé avec du nectar, ou plus rarement de l’huile, recueilli dans les fleurs, et cette réserve est suffisante pour assurer l’ensemble du développement jusqu’à l’adulte. La dernière phase larvaire est la phase pré-nymphale qui correspond à la période de diapause, c’est-à-dire la période de quiescence hivernale, chez la plupart des espèces. Suit le stade de nymphe, avec la méthamophose finale au stade adulte. Les mâles, haploïdes, sont souvent plus petits que les femelles et, chez les espèces solitaires, ils émergent quelques jours avant les femelles et leur durée de vie est plus courte que celle des femelles qui construisent et approvisonnent seules leur nid pour assurer la descendance.
Pollinisation et abeilles… un mutualisme irremplaçable
La pollinisation est le transfert du pollen des étamines productrices aux pistils. Ce pollen contient les gamètes mâles, ou leur précurseur, de sorte que la reproduction sexuée des plantes à fleurs est dépendante de ce transfert de pollen jusqu’aux ovules (chez les Gymnospermes comme les conifères) ou jusqu’aux stigmates, la surface réceptrice du pistil, chez les plantes à fleurs (Angiospermes). Autrement dit, à part chez les espèces parthénocarpiques (qui produisent des fruits sans fécondation, et donc sans graine, comme le bananier cultivé ou les agrumes sans pépin) et les rares espèces apomictiques (qui produisent des graines sans fécondation commme certains agrumes et le mangosteen), la pollinisation est un préambule incontournable à la reproduction sexuée et à la production de fruits, qui sont issus des ovaires, et de graines, qui sont issues des ovules.
Le dépôt de pollen sur les organes femelles peut s’effectuer seul : c’est l’auto-pollinisation passive lorsque les anthères libèrent leur pollen au contact du stigmate ou qu’elles touchent la surface stigmatique, par exemple du fait du vent ou de la sénescence de la fleur. Ce mode de pollinisation est exclusif ou dominant chez les fleurs dont la corolle ne s’ouvre normalement pas comme chez le blé ou certaines variétés de soja. Cette auto-pollinisation garantit un transfert de pollen efficace sur le stigmate et donc la reproduction chez les espèces auto-fertiles (ou auto-compatibles), c’est-à-dire celles pour qui la fécondation peut avoir lieu avec leur propre pollen (auto-pollen). Mais ce mode de pollinisation a aussi pour conséquence l’auto-fécondation (autogamie) qui fixe les caractéristiques parentales au bout de quelques générations pour aboutir à une lignée pure. Cette stratégie est un cul-de-sac d’un point de vue évolutif car il n’y a plus d’échanges de matériel génétique possible avec des congénères de sorte que toute recombinaison est impossible.
Chez la très grande majorité des plantes, la pollinisation résulte de l’action de vecteurs physiques (vent, eau) ou biologiques (animaux) car ceux-ci peuvent transporter le pollen entre des individus génétiquement différents et donc permettre le brassage des gènes, la sélection et l’évolution. C’est la pollinisation croisée (avec de l’allo-pollen) qui aboutira à la fécondation croisée (allogamie). Attention l’auto-pollinisation passive implique l’autogamie, mais la réciproque est souvent fausse car de nombreuses espèces autofertiles et largement autogames sont néanmoins très dépendantes de vecteurs pour obtenir un dépôt de pollen satisfaisant sur leurs stigmates (par exemple les fleurs de tomate sous serre nécessitent leur vibrage par des bourdons terrestres, et les Cucurbitacées pollinisées par des abeilles).
Le vent constitue le vecteur de pollen exclusif ou dominant de la quasi-totalité des Gymnospermes et d’environ 10% des espèces de plantes à fleurs dont un certain nombre de céréales, comme le maïs, l’orge et le seigle, et aussi de cultures fruitières comme le palmier-dattier, le noisetier, le noyer, l’olivier, et le pistachier. Le vent transporte le pollen au hasard et les espèces pollinisées par le vent – dénommées anémophiles – produisent de grandes quantités de pollen qui peut être transporté sur de grandes distances, comme le savent bien les personnes sensibles au rhume des foins ou plus généralement au pollen allergisant d’espèces comme les graminées ou le cyprès. Mais l’écrasante majorité des plantes à fleurs dépend des animaux, au premier rang desquels les insectes, pour assurrer leur pollinisation : A l’échelle mondiale, on estime que 80% des Angiospermes dépendent des insectes, et plus particulièrement des abeilles, de façon dominante ou exclusive pour assurer leur pollinisation : Ce sont les espèces entomophiles.
Beaucoup d’insectes floricoles se nourrissent de pollen et/ou nectar sans intervenir de façon significative dans la pollinisation. Les insectes pollinisateurs comprennent certains coléoptères (nitidulidés pour les Magnolia), lépidoptères (papillons de jour pour les œillets Dianthus sp. et papillons de nuit pour les Datura spp.), et diptères (mouches), en particulier les syrphes sur les alliacées, comme l’oignon, et les ombellifères comme la carotte. Mais ce sont surtout les hyménoptères avec les abeilles qui ont une relation indissociable avec les fleurs. Toute les abeilles constituent des agents pollinisateurs de premier plan. Quatre raisons principales à cela : (1) leur morphologie car une caractéristique essentielle qui différentie une abeille d’une guêpe est la présence de poils branchus sur son corps. Ce sont ces poils branchus qui permettent aux abeilles de transporter des milliers de grains de pollen dans leur toison ; (2) leur alimentation composée essentiellement de nectar et de pollen que l’on retrouve justement dans les fleurs. Et il faut toujours garder à l’esprit que la pollinisation n’est pas un acte volontaire et les abeilles vont butiner de fleurs en fleurs d’abord et avant tout pour y rechercher des ressources. Les Apiformes se caractérisent aussi par la consommation de pollen pour couvrir leur besoin en protéines à la différence des guêpes dont ils sont dérivés – les Sphécides – qui sont toutes carnivores ; (3) leur comportement de butinage qui se caractérise par la fidélité à une espèce végétale d’un individu lors d’un voyage de butinage. Cette fidélité s’explique car il y a apprentissage pour optimiser la récolte de ressources sur une fleur de morphologie donnée ; et enfin (4) le fait que les grains de pollen restent viables sur le corps des abeilles pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, contrairement à d’autres espèces d’insectes floricoles comme les fourmis dont le corps recouvert d’acide formique inhibe la germination du pollen en quelques minutes. On pourrait aussi passer en revue les nombreuses adaptations des fleurs à la pollinisation par les abeilles, avec les facteurs primaires d’attractivité que constituent le pollen et/ou la sécrétion de nectar, et les facteurs de renforcement du comportement de butinage comme la morphologie, la couleur, et l’odeur de tous les éléments qui constituent la fleur. Ces caractéristiques ne sont pas apparues en un jour et on estime aujourd’hui que le mutualisme qui lie les abeilles et les plantes, c’est-à-dire les relations mutuellement bénéfiques qui les lient, est le résultat d’une longue co-évolution entre ces partenaires depuis le Crétacé il y a environ 120 millions d’années, alors que les plantes à fleurs commençaient leur diversification.
L’impact de l’activité pollinisatrice des abeilles dans notre environnement… et jusque dans notre assiette !
Le service de pollinisation réalisé par les abeilles a deux caractéristiques essentielles : sur le plan quantitatif, en quelques visites les abeilles déposent des quantités importantes de pollen sur le stigmate, et sur le plan qualitatif, ce pollen provient le plus souvent de plusieurs individus génétiquement différents. Ces caractéristiques permettent une sélection des tubes polliniques dans le pistil (compétition gamétique) qui a pour conséquence la fécondation avec les génotypes mâles les mieux adaptés au génotype femelle. C’est pourquoi l’on considère aujourd’hui que les abeilles ont contribué de façon déterminante à l’évolution et à la diversité des plantes à fleurs que l’on observe aujourd’hui dans notre environnement. Lorsqu’un sol nu est laissé en friche, les premières espèces qui le colonisent sont généralement des plantes à cycle court et dont la reproduction sexuée ne fait pas appel aux insectes (mouron des champs, séneçon, de nombreuses crucifères comme la capselle bourse-à-Pasteur, et des graminées). Ces espèces ont de petites fleurs qui ne sont presque jamais visitées par les abeilles. Au contraire, le terme final des successions végétales en milieu tempéré contient essentiellement des plantes pérennes et majoritairement allogames, et la plupart de ces espèces dépendent largement ou exclusivement des abeilles pour assurer leur reproduction. On peut citer des essences forestières comme certaines rosacées (alisier, merisier, sorbier), des érables, des espèces ligneuses comme les genêts, les hélianthèmes, les éricacées (airelle, bruyère, callune), et aussi des espèces pérennes herbacées comme les sauges et les orchidées. Les abeilles contribuent à la survie de toutes ces espèces ainsi qu’au cortège de vie sauvage qui leur est associé en se nourrissant de leurs fruits et graines (insectes, oiseaux, rongeurs, mammifères,…).
En agriculture aussi, lorsque l’on parvient à quantifier l’action des différents vecteurs de pollen, on réalise combien le rôle des abeilles est important. Ainsi on a montré récemment chez l’oignon porte-graine que la pollinisation par les abeilles contribuait à elle seule pour 66% à la production de semences chez une variété autofertile (Ruche sur parcelle). Et au-delà du seul rendement, le taux de germination des graines issues des fleurs visitées par les abeilles était supérieur de plus de 10% à celle des graines produites par les fleurs isolées des insectes. Les abeilles interviennent dans la pollinisation de nombreuses cultures et ce dans quatre secteurs principaux : L’arboriculture fruitière (en particulier les rosacées fruitières – abricotier – Ruche et verger, amandier, cerisier, pêcher, poirier, pommier, prunier Apis nectar prune – et le kiwi), les grandes cultures (sarrasin, cultures oléagineuses - colza, tournesol - et protéagineuses – féverole) , les cultures maraîchères (cucurbitacées: courgette, melon, pastèque, solanacées : tomate, poivron, aubergine, fraises et petits fruits rouges), et les cultures porte-graine des espèces indiquées précédemment et aussi d’espèces fourragères comme la luzerne ou les trèfles, et de nombreux légumes et condiments (artichaut, chou, fenouil, oignon, persil, poireau, scarole et frisée). Quand on y regarde de près, il est difficile d’imaginer un seul repas auquel les abeilles ne soient pas associées de près par leur activité pollinisatrice !
… et si les abeilles disparaissaient ?
Le déclin des abeilles domestiques a occupé le devant de la scène médiatique depuis une dizaine d'années. Mais la sonnette d’alarme sur la situation des insectes pollinisateurs a été sonnée dès 1992 lors de la première Conférence sur la Diversité Biologique (sommet de la Terre à Rio de Janeiro). Mais c’est en 2006 que la publication d’un article dans la revue Science a vraiment mis en évidence le déclin parallèle des populations d’abeilles sauvages et des plantes qu’elles pollinisent tant en abondance qu’en diversité entre avant et après 1980 au Royaume-Uni et au Pays Bas. Et la même année est paru un rapport de l’Académie des Sciences des USA qui concluait lui aussi à un déclin significatif des populations d’abeilles, chauve-souris et colibris. Il est donc admis aujourd’hui que le déclin des populations d’abeilles est une réalité dans tous les pays développés et les données les plus récentes des pays émergeants comme la Chine ou le Brésil vont malheureusement dans le même sens.
Ce déclin des populations d’abeilles ne peut que s’accompagner d’une baisse globale du service de pollinisation. Mais cette baisse est-elle suffisante à ce jour pour entrainer uen évolution irrémédiable de notre environnement et des pertes de rendement ? Peu de travaux ont permis de conclure de façon claire sur ces points. En agriculture, l’une des raisons majeures à cela est que l’activité pollinisatrice des abeilles n’a pratiquement jamais été prise en compte auparavant comme facteur de production, et que de ce fait les agriculteurs ne pensent que rarement au déficit de pollinisation comme cause possible d’une diminution de rendements, surtout avec l’évolution aujourd’hui très rapide des variétés. Néanmoins, si l’on examine les besoins en pollinisateurs des productions agricoles qui nourrissent l’humanité, il apparaît que sur les 114 espèces qui fournissent aujourd’hui 95% de notre alimentation, 70% des epèces sont dépendantes des insectes, et plus particulièrement des abeilles, pour assurer leur pollinisation. En termes de production, les conclusions sont différentes puisque c’est ‘seulement’ 36% de notre production alimentaire qui dépend de l’activité pollinisatrice des abeilles. Et en termes économiques et à l’échelle de l’Union Européenne, l’activité pollinisatrice des abeilles représentait 14,2 milliards € en 2005 avec une vulnérabilité économique de 10%. Autrement dit, la disparition des abeilles se traduirait par une perte immédiate de 10% de la valeur de la production agricole, et ceci sans même prendre en compte les semences et les jardins… Et il n’existe pas actuellement d’alternative crédible à la pollinisation par les abeilles ! Ainsi, dans les grands vergers intensifs comme ceux d’amandiers en Califormie, la campagne de pollinisation devient un véritable casse-tête avec des colonies d’abeilles domestiques transportées depuis tout le territoire des USA et même importées d’Australie et des élevages à une échelle industrielle d’autres espèces d’abeilles comme les osmies. Mais nous n’en sommes pas encore là en France…
Pas de doute donc, même si ce constat résulte d’une prise de conscience très récente, les abeilles sont des alliées précieux et irremplaçables de notre environnement comme de notre alimentation. Il est donc urgent de prendre soin de nos abeilles pour arrêter leur déclin et renverser la tendance, et ce toutes espèces confondues car il apparait de plus en plus clairement qu’il y a complémentarité entre différentes espèces d’insectes pollinisateurs et qu’il y a donc avantage à avoir différentes espèces d’abeilles pour la pollinisation! La menace est suffisamment sérieuse pour que trois programmes européens sur 5 ans aient démarré cette année pour nous y aider (les programmes de recherche FP7 STEP – Status and Trends of European Pollinators – www.step-project.net, et BEEDOC www.bee-doc.eu, et le programme de démonstration LIFE+ Biodiversité URBANBEES – Urban bee biodiversity action plans www.urbanbees.eu – qui est mené dans la communauté urbaine du Grand Lyon). Sans parler de l’Initiative Canadienne sur la Pollinisation (CANPOLIN ; www.uoguelph.ca/canpolin) et à l’échelle mondiale l’Initiative Internationale sur les Pollinisateurs lancée par les Nations Unies et menée par la FAO depuis 2002 (Food and Agricultural Organisation ; www.internationalpollinatorsinitiative.org/).
Dernier point, et c’est une bonne nouvelle, on peut facilement contribuer à augmenter la population d’abeilles sauvages à petite échelle dans son jardin ou même sur son balcon: Quelques tiges creuses (bambou, roseau phragmites), quelques buches percées de trous, un peu de terre tassée et maintenue nue… autant de sites de nidification intéressants pour certaines espèces d’abeilles (Hotel à abeilles).
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Mode de vie de l'insecte:
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