La pollinisation des plantes à fleurs, c’est-à-dire le transport du pollen des anthères productrices  aux stigmates, résulte principalement en Europe de trois modes : l’auto-pollinisation passive (transfert par gravité ou contact direct entre anthères et stigmates), le vent (flux polliniques aériens) et les insectes. L’auto-pollinisation passive ne constitue que rarement le mode de pollinisation dominant, et le vent est le vecteur de pollen principal chez seulement 10 % des plantes à fleurs (espèces anémophiles), tandis que les insectes pollinisent la majorité des autres espèces de façon exclusive ou dominante (espèces entomophiles ; Buchmann & Nabhan 1996, Allen-Wardell et al. 1998). 

 

Beaucoup d’insectes floricoles se nourrissent de pollen et/ou nectar sans intervenir de façon significative dans la pollinisation. Ce sont surtout les hyménoptères, et plus particulièrement les abeilles, qui ont une relation indissociable avec les fleurs. En effet, la morphologie des abeilles (présence de poils branchus sur le corps), leur régime alimentaire constitué exclusivement de nectar et de pollen, et leur comportement de butinage (fidélité à une espèce de plante lors d’un voyage),et l’absence de sécrétions qui inhibent la germination du pollen sur leur corps en font des vecteurs de pollen particulièrement efficaces et précis (Michener 2000). Il est ainsi admis aujourd’hui que c’est le mutualisme (relations mutuellement bénéfiques) qui lie les abeilles et les fleurs qui a conduit à la co-évolution et à la diversité des espèces végétales (Crepet 1984) : Plus de 20 000 espèces d’abeilles dans le monde contribuent à la survie et à l’évolution de plus de 80% des espèces végétales (Burd 1994, Buchmann & Nabhan 1996, Allen-Wardell et al. 1998, Michener 2000, Knight et al. 2005). 

 

L’activité pollinisatrice des abeilles domestiques en agriculture est aujourd’hui largement reconnue et plusieurs ouvrages de référence lui sont très largement consacrés (McGregor 1976, Pesson & Louveaux 1984, Free 1993, Delaplane & Mayer 2000). Même si l’importance de cette activité pollinisatrice a été remise en question (Westerkamp 1991, Winfree et al. 2007), elle reste  remarquable à plus d’un titre : sur le plan quantitatif, les abeilles domestiques transportent couramment des dizaines de milliers de grains de pollen sur leurs corps et elles en déposent de grandes quantités sur les stigmates, avec pour conséquence une sélection possible des tubes polliniques dans le style jusqu’aux ovules (Vaissière et al. 1996, Vaissière & Froissart 1996). Sur le plan qualitatif, en allant de fleurs en fleurs, les abeilles transportent du pollen issu d’individus d’une même espèce mais génétiquement différents et le dépôt d’allo-pollen permet la fécondation croisée et la reproduction de toutes les espèces auto-incompatibles (Rodet et al. 1998).

 

Enfin en déposant sur les stigmates du pollen viable de plusieurs espèces acquis lors de plusieurs voyages successifs ou dans leur colonie, les abeilles ont aussi largement contribué à l’évolution des espèces végétales en permettant des croisements interspécifiques et intergénériques (Crepet 1984). Cet aspect est particulièrement important dans le cas des abeilles domestiques du fait des transferts de pollen intra-colonie (Vaissière et al. 1994) qui ont pour conséquence que la distance effective de transfert du pollen n’est pas celle d’une ouvrière, mais celle de la colonie toute entière. Et c’est donc le rayon d’action de la colonie qui donne une idée de la distance de brassage génétique possible par les ouvrières d’une colonie d’abeilles domestiques, soit environ 10-12 km et ce, quel que soit le paysage alentour (Visscher & Seeley 1982,Southwick & Buchmann 1995, Steffan-Dewenter & Kuhn 2003).